L'extrait que j'ai choisi de publie (Ayn Rand - La Révolte d'Atlas) montre l'impossibilité du dialogue entre le producteur, qui sait que rien n'existe sans travail ni effort, et le politicien, qui croit qu'il suffit, pour que l'économie aille bien, de l'organiser d'en haut, tout en gardant une sphère politique parasitaire qui serait déconnectée de l'économie.
— Nous devons préserver le système et ses traditions tels qu’ils le sont. En revanche, nous sommes d’accord pour le faire évoluer. Nous effectuerons les changements nécessaires selon le cahier des charges que vous nous soumettrez. Nous ne sommes pas obtus, théoriques, ou dogmatiques… nous sommes flexibles, au contraire. Nous ferons tout ce que vous nous dicterez de faire. Vous aurez les mains libres, et nous, nous coopérerons. Nous accepterons volontiers les compromis. Nous nous entendrons sur une base gagnant-gagnant. Nous conserverons le contrôle du volet politique, et vous cèderons un pouvoir absolu sur le volet économique. Nous vous abandonnerons les outils de production du pays, nous vous ferons le présent de la machine économique toute entière. A partir de là, vous la ferez fonctionner comme bon vous semble, vous serez aux commandes, vous ordonnerez la publication des décrets… et vous aurez la jouissance de l’ensemble de l’appareil d’Etat pour faire appliquer et respecter vos directives. Nous, de notre côté, nous serons prêt à vous obéir, nous tous, en commençant par moi, jusqu’au bas de la pyramide. Pour tout ce qui relève des questions de production, nous ferons absolument tout ce que vous nous demanderez. Vous vous retrouverez dans une position et avec des pouvoirs similaires à ceux d’un dictateur économique de la nation!
Galt éclata de rire.
Ce fut l’amusement simple que traduisait ce rire qui choqua Monsieur Thompson.
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
— Donc, c’est ça, votre idée de compromis, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce que… ? Arrêtez de sourire comme ça !... Je crois que vous ne m’avez pas compris. Je suis en train de vous offrir le poste de Wesley Mouch… et il n’y a rien de plus gros que quiconque pourrait vous offrir !... Vous serez libre de faire tout ce que vous souhaitez. Si vous n’aimez pas les contrôles un peu trop stricts… révoquez-les. Si vous voulez augmenter les revenus de l’Etat et diminuer les salaires… faites voter des décrets l’ordonnant. Si vous voulez accorder des privilèges spéciaux et des abattements fiscaux pour les barons de l’économie… accordez-les leurs. Si vous n’aimez pas les syndicats… ordonnez leur dissolution par décret spécial. Si vous voulez une libre économie de marché… ordonnez aux gens d’être libres de faire ce qu’ils veulent ! Organisez les choses comme bon vous semble. Mais faites venir la reprise. Réorganisez l’économie nationale. Remettez le pays au travail. Faites-les produire. Ramenez vos propres hommes… les hommes d’intelligence et de créativité… les cerveaux. Guidez-nous pour nous aider à retrouver la route menant à une ère scientifique, industrieuse, et de paix et de prospérité.
— Au bout du canon d’un fusil ?
— Bon, écoutez, je… Maintenant, qu’est-ce qui est si foutrement drôle dans tout ça ?
— Allez-vous me dire simplement une chose : si vous êtes en mesure d’affirmer que vous n’avez pas compris un mot de ce que j’ai dit à la radio, qu’est-ce qui vous fait penser que je serais d’accord pour prétendre que je ne l’ai pas dit ?
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire ! Je…
— Laissez tomber, c’était juste une matière de rhétorique. La première partie de ceci répond à la question de la seconde.
— Hein ?
— Je ne joue pas à votre genre de jeu, Frangin… si vous en voulez une traduction.
— Est-ce que vous voulez dire que vous refusez mon offre ?
— Exactement.
— Mais pourquoi ?
— Ça m’a pris trois heures, à la radio, pour vous l’expliquer.
— Oh, mais ça c’est juste de la théorie ! Moi, je suis en train de vous parler business, là. Je suis en train de vous proposer le meilleur job de la planète. Vous allez me dire ce qui coince, là-dedans ?
— Ce que je vous ai dit, durant ces trois heures, c’est que ça ne marchera pas.
— Vous pouvez le faire marcher.
— Comment ?
Monsieur Thompson étendit les mains.
— Je ne le sais pas. Si je le savais, je ne serais pas venu vous voir. C’est à vous de le savoir. C’est vous le génie de l’industrie. Vous avez le pouvoir de résoudre tous les problèmes.
— J’ai dit que ça ne pouvait pas être fait.
— Vous pourriez le faire.
— Comment ?
— D’une manière ou d’une autre. Il entendit le rire étouffé de Galt, et ajouta, « Et pourquoi pas ? Expliquez juste pourquoi ce ne serait pas possible ? »
— O.K., je vais vous le dire. Vous voudriez que je sois le dictateur économique ?
— Oui.
— Et vous obéiriez à tous les ordres que je pourrais donner ?
— Implicitement !
— Et bien alors, commencez donc par abolir les impôts sur le revenu.
— Oh non ! s’écria Monsieur Thompson en bondissant sur ses jambes, « Nous ne pourrions pas faire ça ! Ça… ça ne relève pas du domaine de la production. Ça, ça relève du domaine de la redistribution. Comment payerions-nous les fonctionnaires ?
— Mettez vos fonctionnaires à la porte.
— Oh non ! Ça c’est de la politique. C’est pas de l’économie! Vous ne pouvez pas interférer dans les affaires politiques ! Vous ne pouvez tout de même pas tout avoir, non plus !
Galt croisa ses jambes sur le prie-Dieu tout s’étirant plus confortablement dans le fauteuil tapissé.
— On continue ? Ou arrivons-nous au but ?
— Je ne faisais seulement… Il s’arrêta.
— Préféreriez-vous que ce soit moi qui en vienne au but ?
— Ecoutez, dit Monsieur Thompson sur le ton de l’apaisement et en se rasseyant sur le bord de son fauteuil. Je ne veux pas tergiverser. Je ne suis pas bon pour les palabres. Je suis un homme d’action. Le temps nous est compté. Tout ce que je sais, c’est que la nature vous a donné un bon cerveau. Exactement le genre de cerveau dont nous avons besoin. Vous savez tout faire. Vous pourriez mettre le pays sur la voie de la reprise économique, si vous le vouliez.
— D’accord, présentons les choses sous votre angle : je ne veux pas le faire. Je ne veux pas être un dictateur économique, même pas, même pas juste pour le temps nécessaire de donner cet ordre aux gens, par décret, d’être libres… un décret que n’importe quelle personne rationnelle et censée me jetterait à la figure, parce qu’il saurait que ses droits n’ont pas à être tenus, donnés ou reçus avec votre permission ou avec la mienne.
— Dites-moi, fit Monsieur Thompson en le regardant d’un air pensif, « qu’est-ce que c’est que vous cherchez, au juste ? »
— Je vous l’ai dit à la radio.
— Je pige pas. Vous avez dit que vous vous êtes engagé au nom de vos propres intérêts personnels… et ça je peux le comprendre. Mais qu’est ce que vous pourriez obtenir dans le
futur que vous ne pourriez obtenir maintenant, de notre part, servi sur un plateau d’argent ? Je pensais que vous étiez un égoïste et un homme à l’esprit pratique. Je vous offre un chèque en blanc sur tout ce que vous pourriez souhaiter… et vous me répondez que vous n’en voulez pas. Pourquoi ?
— Parce qu’il est sans provisions, votre chèque en blanc.
— Quoi ?
— Parce que vous n’avez aucune valeur à m’offrir.
— Je peux vous offrir tout ce que vous voulez. Tout ce que vous avez à faire, c’est de me dire ce que c’est.
— Vous, dites moi ce que c’est.
— Bon, vous parlez beaucoup de richesse. Si c’est de l’argent que vous voulez… vous ne parviendriez pas à vous faire durant trois fois votre vie ce que je peux vous remettre dans la main dans la minute, à cette minute même, payé cash “au cul du camion”. Vous voulez un milliard de dollars… un joli petit milliard de dollars net d’impôt ?
— Que j’aurais à produire pour vous, pour que vous parveniez à me le remettre ?
— Non, là je suis en train de vous parler d’argent qui sort directement du trésor public, en billets neufs et fraîchement imprimés… ou… ou même en or, si vous préférez.
— Et je m’achèterais quoi, avec.
— Oh, écoutez, quand le pays sera remis sur pied…
— Quand je l’aurai remis sur ses pieds ?
— Bon, si ce que vous voulez, c’est de faire “tourner la boutique” à votre manière, si c’est le pouvoir qui vous intéresse, je vous garantie que chaque homme, femme et enfant dans ce pays obéira à vos ordres et fera tout ce que vous voulez.
— Après que je leur aurai appris à le faire ?
— Si vous voulez n’importe quoi pour votre propre clan… pour tous ces hommes qui ont disparu… des bons postes… des salaires convenables… des appartements de fonction… un peu de pouvoir… des exonérations d’impôts, n’importe quel privilège spécial… vous n’avez qu’à demander, ils l’auront.
— Une fois que je les aurai ramenés ici ?
— Bon, à la fin… qu’est-ce que vous voulez ?
— De quoi sur terre auriez-vous besoin ?
— Hein ?
— Qu’auriez-vous à m’offrir que je ne pourrais avoir sans vous ?
Il y eut une expression différente dans les yeux de Monsieur Thompson, lorsqu’il revint à la charge, comme s’il se trouvait acculé, et cependant il regarda Galt droit dans les yeux pour la première fois, et il dit lentement :
— Sans moi, vous ne pourriez pas sortir de cette pièce, maintenant.
Galt sourit.
— C’est vrai.
— Vous ne seriez pas capable de produire quoi que ce soit. Vous pourriez être abandonné ici pour y crier famine.
— C’est vrai.
— Bon, et là, vous comprenez ce que je veux dire?
La sonorité joviale et familière revint dans la voix de Monsieur Thompson, comme si l’allusion adressée et reçue pouvait désormais être dissipée en toute sécurité par le seul moyen de l’humour.
— Ce que j’ai trouvé à vous offrir, maintenant, c’est votre vie.
— Ce n’est pas à vous de me l’offrir, Monsieur Thompson. dit Galt d’une voix douce.
Quelque chose dans la voix de Galt secoua Monsieur Thompson pour l’inciter à lui lancer un regard, puis une seconde secousse lui fit regarder ailleurs avec encore plus de promptitude : le sourire de Galt avait presque été gentil.